(alan) first step.

Honnêtement, même dans sa jeunesse, jamais Morgan n'a posé le pied sur un bateau aussi grand que le Pacific Star. Oui, il lui est arrivé de passer des journées sur des yachts lorsqu'il était en vacances à Cannes ou dans ses plus belles destinations, mais jamais il n'est monté sur un bateau de croisière. Peut être parce que sa famille se serait entre-tuée à force de devoir vivre enfermée dans un même endroit pendant plus de quatre jours, et parce qu'après, il est trop devenu accro à son job pour pouvoir le quitter trop longtemps pour s'offrir un trip en solo. Et aussi peut-être parce qu'il angoisse. Il n'a jamais raffolé des espaces confinés. Mais lorsque l'offre pour le Pacific Star lui a été proposé et fortement suggéré par ses plus proches collaborateurs, il s'est dit qu'il pourrait l'endurer. Du moins, il essaye de s'en convaincre. Puis ce n'est pas comme un ascenseur. Là, il pourrait s'enfuir sur le pont pour prendre de grandes bouffées d'oxygène.

Il est fin septembre et le départ est prévu pour bientôt. Arrivé fraîchement (ou pas) de France la veille, le cuisinier s'est tout de même octroyé une petite balade typiquement touristique pour se dégourdir les pattes et prendre un grand bol d'air. Après tout, il venait d'enchaîner des heures de vol assez tendues, malgré qu'il ait eu le privilège de voyager en première classe. La compagnie du Pacific Star souhaitait chouchouter leur nouvelle acquisition, c'était compréhensible. Et ce n'était pas le guguss qui allait s'en plaindre ! Mais après avoir assez divagué dans les rues bondées de Miami toute la nuit, écumant quelques bars au passage, il s'est enfin mit en chemin pour rejoindre son nouveau foyer et boulot. En titubant un petit peu, certes.

Il a été soufflé par la taille imposante. Qui ne le serait pas? C'est à se sentir tout petit petit à côté d'un géant pareil. Le chef est resté bloqué un moment, à arpenter le ponton prêt duquel son nouvelle maison flottante était parquée. Un monstre. Encore un peu pompette de sa nuit blanche, il eut une pensée très rapide pour le Titanic. Avant de fourguer cette idée dans un coin sombre de sa tête. Pas besoin de ce mettre ça dans la caboche, Morgan. Après de longues minutes d'investigation, il arriva à l'endroit où il devait enregistrer son arrivée. Bon, vu qu'il était encore très tôt, il a fallu qu'il patiente sagement (et là encore, ou pas) jusqu'à ce quelqu'un ne prenne son poste. Il souhaitait juste une chose : pouvoir admirer le lever de soleil à bord du bateau. Oui, quand il est bourré, son côté romantique a tendance à ressortir.

Son vœu fut exaucé puisqu'après pas mal d'attente, et alors que le ciel commençait à s'éclaircir et que les étoiles s’effaçaient petit à petit du panorama, quelqu'un arriva pour l'accueillir. Vérifier ses papiers, son identité, et tout le toutim que Morgan eu un peu de mal à fournir sans raconter de bêtises. Il grimpa à bord du navire, non sans manquer de passer par dessus la barrière par moment, et posa enfin un pied sur le paquebot. Un sentiment vivifiant le saisit et un sourire étira ses lèvres. Il se laissa le temps de flaner et admirer le pont principal, vaguant ici et là entre chaises, tables, etc. Finalement, il avança au plus proche de la pointe du bateau et posa son derrière dans un transat qui traînait par là. Au loin, les premiers rayons du soleil menaçaient de percer le voile de la nuit et il lâcha un soupir de fatigue et de soulagement : le spectacle pouvait commencer.

Si cela n'avait pas été pour s'enfuir, Alan n'aurait probablement jamais postulé pour devenir masseur-kiné dans un bateau de croisière. Il y a presque deux ans, il avait renoncé à avoir un cabinet de consultation fixe, fonctionnant par le bouche à oreille et les contacts. Joyce n'avait pas aimé sa décision, et c'était compréhensible. Parce que finalement, c'était elle qu'il avait voulu fuir, d'une certaine manière. Elle et les engagements qu'impliquait leur mariage. Elle et sa propre famille qui s'entendaient trop bien. Alan avait eu le sentiment de creuser sa tombe après ce mariage, en quelque sorte, de se bloquer dans une voie qui finalement, finirait par avoir raison de lui. Il ne se voyait pas s'engager pour une vie complète avec elle, même s'il l'avait profondément aimée. Elle avait aussi découvert nombre de ses défauts qu'elle n'avait pas forcément remarqués au départ. Le joli tableau avait été taché d'une horrible peinture noire et sale, ruinant ainsi leur belle idylle. Alan se savait entièrement responsable de ce carnage émotionnel.
A chaque fois qu'il montait sur un bateau, le premier jour, c'était tout ce à quoi il pensait ; aux raisons qui l'avaient poussé à vouloir prendre le large, au sens propre du terme. Il n'en était pas à sa première croisière, ayant déjà fait trois petites croisières d'un mois dans différentes parties du monde, mais celle-ci était la plus longue et la plus prometteuse. Assis sur une chaise longue, caché par l'obscurité matinale, Alan avait été le premier à embarquer ce matin, dès qu'il en avait eu la possibilité. Les mains dans les poches, les jambes croisées, le regard vers le large, il était silencieux, attendant le simple lever du soleil pour pouvoir l'admirer tranquillement, avant que le chaos ne vienne perturber la quiétude du bateau encore bien vide.

Puis là, une silhouette apparu dans son champ de vision. Quelqu'un qui ne l'avait pas remarqué, trop loin de toute manière. L'individu s'approcha de la tête du bateau et s'assit également. Alan pencha légèrement la tête, se demandant de qui il s'agissait. Peut-être était-ce un collègue qu'il avait déjà croisé sur une autre croisière ? Et alors qu'il se questionnait, les premiers rayons apparurent. Un bout du soleil se fit remarquer à l'horizon et l'asiatique choisit ce moment pour se lever, les mains toujours dans les poches. Les pieds traînant un peu, il s'avança tranquillement, le visage paisible. Il se rapprocha, lentement, tranquillement, du transat occupé. Il s'arrêta finalement à côté, jeta un bref coup d'oeil pour s'apercevoir que non, il ne connaissait pas ce jeune homme. Il reporta alors son attention sur le lever de soleil.

« Je vois que je ne suis pas le seul à apprécier ce genre de choses. »

Le ton était doux, bas, comme s'il ne voulait pas déranger le silence du moment. Il aurait pu attendre la fin du spectacle pour se manifester, ce dernier n'étant pas non plus très long, mais la curiosité l'avait emporté. Il n'avait pas forcément l'intention de parler davantage également. Même sans obtenir de réponse, il ne bougerait pas. Car finalement, ils faisaient la même chose ; regarder l'horizon.

Il faisait bon malgré que le soleil ne se soit pas encore levé. Ou alors etait-ce peut être du à l'alcool qui courrait dans ses veines. Aucune idée mais Morgan, en tee-shirt, ne craignait pas la petite brise matinale qui secouait légèrement la toile des parasols fermés. Affalé dans le transat, il laissa la fatigue des heures de voyage et de sa cavalcade nocturne l'envahir et engourdir ses muscles endoloris. C'est sympa de bouger et de faire le touriste, mais qu'est-ce qu'on est bien à rien faire bon sang... Au loin, le français apercevait déjà les premiers signes du jour modifier le paysage sans fin. Il avait du mal à se dire que cela allait être son quotidien dans peu de temps : un horizon infini d'eau et de ciel. Cela changerait tout au tout de son quotidien, lui beaucoup plus habitué aux souterrains du métro parisien. Ce songe attisa une petite angoisse au fond de lui, entremêlée à de l'excitation. La nouveauté, l'aventure, mais aussi un peu de peur. L'inconnu. Le renouveau. Le changement...

Plongé dans ses pensées, Morgan ne remarqua pas les bruits de pas sur le parquet impeccablement ciré du pont. Groggy, il regardait et réfléchissait à tout ce qui pouvait bien lui passer dans l'esprit. Ce n'est que lorsqu'une douce voix masculine à l'accent britannique fort prononcé retentit, qu'il tourna la tête vers la source de celle-ci. Prêt de lui, debout, se tenait un homme à la carrure élancée, brun, avec des traits qui transpiraient des origines asiatiques. Sur le coup, légèrement sonné de sa longue nuit, le cuisinier ne su pas quoi répondre. Ce n'est que lorsqu'il se redressa dans le transat - pour essayer de remettre de l'ordre dans sa tête - qu'il se racla la gorge pour trouver de la reparti et ne pas laisser l'inconnu dans un silence gênant.

« On s'arrête rarement sur des choses aussi simples, de nos jours. » Lui le premier. Rares ont été les fois où il s'est juste poser quelque part pour admirer un levé de soleil. En général, à ces heures-là, il était en after ou il bossait derrière ses fourneaux. « C'est dommage. C'est gratuit en plus. » ajouta Morgan avec un petit rictus amusé. Un temps se passa, ou chacun profita de la beauté de la nature, avant qu'il n'aille plus loin. « Et il faut en profiter avant que les passagers ne nous envahissent. Après, fini la tranquillité. »

Quoique... pas sûre que tous les voyageurs se motivent à se lever très tôt le matin pour le spectacle. Ils préféreront peut être le coucher, avec un petit verre à cocktail, après une longue journée de farniente au soleil... Qui sait. Morgan ne peut juger, il a rarement prit de vacances.

Le jeune homme se redressa dans sa chaise longue et se racla la gorge pour lui répondre. Un léger souffle accompagnant un sourire fut la seule réponse d'Alan face à ses paroles. Il approuvait complètement ses mots. Un spectacle simple, gratuit, mais d'une infinie beauté. Dans l'effervescence de la vie humaine en société, la population oubliait les choses que la nature pouvait offrir. C'était étrange de se dire que ce spectacle auquel ils assistaient était quelque chose de quotidien, qui se produisait depuis des millions d'années. Il avait pourtant fallut plus d'une vingtaine d'années à Alan pour qu'il s'en apperçoive. Se tenir sur un pont, avec une vue dégagée sur la mer,  observer le mouvement des vagues et l'immensité de l'eau. Jusqu'à combien de kilomètres pouvaient-ils regarder ? Combien de buildings et d'arbres viendraient en temps normal cacher cette magnifique vue ?

Alan ne quittait pas l'horizon du regard. Il eut un long soupir d'aise tandis que l'autre reprenait la parole pour souligner que cette quiétude ne durerait qu'un temps ; il avait on ne peut plus raison.

« Le matin restera calme mais... il y en aura toujours qui viendront profiter de cette quiétude. Et d'autres qui iront se coucher à cette heure. »

La vie nocturne au sein du bateau était quand même bien présente. Il n'y avait pas couvre-feu, aussi les gens pouvaient-ils rester dehors tant qu'ils ne causaient pas de grabuge et ne dérangeaient pas l'équipage en travail de nuit. Les horaires d'Alan étant relativement flexibles, il lui était arrivé d'être très matinal comme très nocturne, même s'il avait été négocié certaines horaires. Personne n'était à l'abri d'une urgence. Prenant une lente et lonue inspiration, l'asiatique tourna légèrement la tête pour voir les rayons du soleil éclairer les premières façades des bâtiments de la ville. Des plus hauts buildings, le soleil se reflétait sur les vitres. Une douce couleur d'un orange pastel venait teindre le ciel qui arborait différentes nuances de couleurs. Cette vision toute simple allait probablement lui manquer, aussi. Ce qui lui semblait exceptionnel ce matin pourrait à la longue devenir la routine et perdre de son charme. C'était sa seule petite crainte de l'instant.

« Il y aura d'autres vues imprenables pendant le voyage, il n'y a pas à s'en faire. »

Entre les levés et les couchés, ils auraient de quoi admirer plein d'autres choses. La faune sauvage viendrait très probablement les saluer à un moment ou à un autre, puis la flore changera également d'un pays à un autre. Tout allait être sujet à exploration.

L'inconnu approuva ses pensées sans le savoir, même si il est vrai, il restera des exceptions à la règle. Morgan lâcha du regard quelques instants le panorama pour observer furtivement son interlocuteur. Grand, dégageant une certaine assurance, propre sur lui... Le français dénotait pas mal à côté de lui. C'est vrai qu'à part un passage aux toilettes de l'aéroport pour se rafraîchir et se laver les dents, Morgan n'avait pas vraiment fait d'efforts depuis son atterrissage. De plus, avec la nuit un peu folle qu'il venait de passer, il était encore plus mal fagoté qu'au quotidien. Non pas qu'il y apporte un grand intérêt. Une fois en dehors des cuisines, sorti de son uniforme au col tricolore impeccablement repassé et souvent immaculé de tâches même après un gros service, le jeune homme était plus du genre à sauter dans un jeans et des baskets, histoire d'être plus à l'aise. Avec sa barbe absolument incontrôlable et ses mèches rebelles qu'il planque sous sa casquette, il aurait presque l'air d'un rebelle qui traîne à Bastille. Difficile de s'imaginer un chef talentueux quand on le rencontre aux premiers abords. Mais l'homme lui, n'avait absolument pas l'air comme ça. Et même dans sa façon de se tenir, ce qu'il dégage...

Le cuisinier se re-concentra son attention sur la sphère de flammes qui petit à petit, montait dans le ciel, amenant avec elle un ballet de couleurs pastels. Difficile de se concentrer sur plusieurs choses à la fois dans son état actuel. Il se contenta juste de soutenir les propos de sa nouvelle rencontre, d'un petit son approbateur et d'un signe de tête. Bon, même si il ne pouvait le voir m'enfin. Ils restèrent dans un silence confortable encore un petit moment, seulement troublé par le bruit des vagues qui venaient s'entrechoquées sur la coque du bateau. Après cet instant de tranquillité, Morgan se redressa non sans mal de son transat. Une grimace déforma les traits de son visage pâle alors qu'il enchaînait quelques étirements pour essayer de soulager ses muscles souffrants, tout en combattant les effets de la gravité et de l'alcool. Quand il eut fini de gesticuler dans tous les sens, il s'approcha de son camarade d'observation, un sourire aux lèvres.

« Morgan Hadreshaw. Chef de cuisine, français, recruté par les bons soins de la compagnie. » se présenta le garçon, en tendant sa main vers ce qu'il pense être sûrement, un futur collègue. « Enchanté. »

Le jeune homme à ses côtés se leva alors et Alan tourna la tête vers lui, sachant qu'un dialogue allait probablement s'instaurer dans les secondes suivantes. C'est en le voyant s'étirer et faire quelques grimaces qu'Alan s'amusa à penser qu'il le reverrait probablement plus tôt qu'il ne l'avait cru. Il semblait fatigué. Il se tourna alors vers l'asiatique et se présenta alors comme étant un français recruté sur le poste de chef de cuisine, répondant au prénom de Morgan. Le visage d'Alan, déjà amical naturellement, toujours avec un petit sourire en coin, sentit un sourcil se lever légèrement ; chef de cuisine ? Très intéressant, ils allaient probablement se croiser. Français de surcroit ? Voilà qui allait donner un éclat supplémentaire à ses plats, la gastronomie française étant bien une des choses qu'Alan aimait le plus. Son nom d'ailleurs semblait quelque peu familier. Tendant la main à son tour, Alan la serra d'un geste plus amical que ferme.

« Enchanté également, Morgan. Je suis Alan Wilson. » La main relâchée, il remua légèrement son doigt dans l'air pour désigner la longueur du bras de Morgan. « Je suis masseur-kiné, donc si vous avez des douleurs quelconque n'hésitez pas à venir m'en parler. Cela dit... » Son regard se plissa légèrement et sa tête pivota légèrement de quelques degrés, alors qu'il observait attentivement le visage de Morgan. « Votre nom et votre visage me paraissent familier, pourtant je sais que je ne vous ai jamais rencontré. Vous êtes célèbre peut-être ? »

Probablement dans le domaine de la cuisine, s'il était chef de cuisine. A le voir dans un tel accoutrement, Alan ne s'en serait jamais douté. Il aurait plutôt pensé un de la troupe d'artiste, un mécanicien ou quelque chose du genre, pas un chef. Comme quoi, il ne fallait pas juger sur les apparences. Pas toujours.

Leurs mains se joignirent pour une poignée amicale. Morgan tenta de ne pas y insuffler trop de pression, chose qu'on lui reprochait souvent. Ce n'était pas histoire de jouer les cadors ou d'imposer sa virilité, mais il se souvient de ses jeunes années et de ses mains broyées sous le poids du charisme et de la force de certains de ses pairs. Bref, revoilà que ses pensées se remettaient à partir dans tous les sens. L'homme - Alan - se présenta a son tour et confirma l'hypothèse qu'il serait un futur collègue. Cela dit, clairement pas dans le même corps de métier. Dans un sens, Morgan n'aurait pas très apprécié de croiser l'un de ses futurs coéquipiers tout de suite, dans son état actuel, que ce soit physique ou psychique. Bonjour l'exemple après. Son interlocuteur lui proposa même ses services en cas de pépin, avant qu'une étrange lueur ne passe dans son regard. Cela n'était pas inconnu au cuisinier, il avait l'habitude de le voir sur de nouveaux visages, principalement rencontrés sur Paris. Alan laissa suggérer que le chef était connu et cela arracha un petit rire nerveux au concerné.

« En effet, héhé. » répondit-il en passant une main dans ses mèches indisciplinées. « Je me suis fais un nom dans le milieu, depuis un ou deux ans maintenant. J'ai travaillé pour de grands restaurants étoilés sur Paris. Je suis un peu la coqueluche du moment si on veut. »

Morgan avait toujours un peu de mal à s'y faire. Pas à sa réussite, car il l'avait mérité. Il n'avait pas compté ses heures, n'a jamais rien lâché, et s'est élevé au niveau des plus grands. On le respectait pour ça. Mais se faire reconnaitre, même à l'autre bout du monde, cela surprenait.

« J'aimerais pouvoir vous dire la même chose, mais je ne fréquente pas trop les médecins et tout ça... J'ai même tendance à les fuir ! » plaisanta le cuisinier, un peu maladroit. Est-ce qu'un kiné est un médecin même? Mais si, tu dois connaître pleins de trucs sur le corps et la santé, c'est un docteur... Putain j'ai un doute maintenant... Il enchaina rapidement, pensant passer pour l'idiot du village. « Mais merci cela dit pour la proposition, je n'hésiterais pas si besoin. Y'a-t-il quelque chose dont vous raffolez particulièrement? On pourrait faire un échange de bons procédés si vous voyez ce que je veux dire... »

Haussements de sourcils répétitifs, avant de se stopper net. Heu, ça porte peut être à confusion ce que tu viens de dire, mec. Damn it !

Il avait vu juste. Les doigts d'Alan claquèrent alors qu'il se mordit la lèvre, content de s'être rappelé.

« Aaah, je m'en doutais ! »

Il laissa le jeune chef poursuivre, puis ne retint pas un rire franc. Il ne perdait pas le nord en tout cas et allait droit au but, c'était assez rafraîchissant en soit. Il voulait des massages ? Un petit traitement de faveur ? Cela pouvait se négocier. C'était certes son travail, mais Alan ne rechignait pas à fournir un peu plus d'efforts si cela pouvait lui permettre d'en bénéficier d'une manière également. Morgan avait choisit des mots justes ; un échange de bons procédés. Le regard plutôt amusé et un sourire très honnête sur le visage, cette rencontre allait égayer le reste de la journée d'Alan et cela se voyait. Il n'en doutait pas un seul instant.

« Nous parlons déjà affaires avec les premiers rayons du soleil ? Haha ! Cela dit, je ne suis pas contre le principe d'échange équivalent. » Il croisa les bras, ne perdant pas une miette de son sourire. « Mmmh, voyons voir... » Il se perdit dans ses pensées. Quelque chose dont il raffolait ? De mémoire, il n'avait pas de préférence toute particulière. Il savourait chaque plat comme une nouveauté, se délectait des saveurs, appréciait les nuances et les découvertes. Son fin palet n'était pas habitué à un seul type de plat mais bien à l'innovation constant. Mais peut-être, en réfléchissant un peu, avait-il des saveurs qu'il aimait plus que les autres ? « Il ne me semble pas avoir de plat préféré, vraiment... mais j'ai toujours eu une petite préférence pour la chair du poisson. Peu commun j'imagine, n'est-ce pas ? »

La plupart des gens qu'il côtoyait s'abandonnaient aux viandes mammifères ou volailles, quand lui était un amoureux du poisson. Il ne raffolait pourtant pas tant que ça des fruits de mer en comparaison. Ah, il aimait les algues, aussi.

« Et les algues comestibles. Elles sont tellement peu communes et peu utilisées que chaque plat les utilisant est une découverte. Mention pour la salicorne d'europe, un excellent souvenir de jeunesse. »

Et qui disait peu commun, disait souvent challenge. Parce que ces goûts étaient particuliers, il était souvent difficile de les marier convenablement. Alan n'était pas si difficile en vérité et il pouvait bien manger de tout mais il devait bien admettre... beaucoup aimer les surprises.

Fuir les médecins? Quel euphémisme pour le jeune chef. Malgré son côté casse-coup et de nombreuses blessures, Morgan n'était pas du genre à se tourner vers les représentants de la santé au moindre soucis. Bon, la fois où il a dû être opéré de l'appendicite, il n'a pas réellement eu le choix... et encore, c'était parce qu'il s'était écroulé en plein service qu'il s'était vu forcé, d'être emmener par les pompiers en direction de l'hôpital. Mais sinon, il évitait tant bien que mal. Les couloirs de ces endroits le faisaient sentir encore plus claustrophobe que d'habitude, et que dire des docteurs... Non, Morgan n'avait rien d'un hypocondriaque. Il n'y y avait aucune douleur qui ne pouvait être soignée par un bon p'tit verre. A part l'appendicite, c'est clair.

Alan n'eut pas l'air de saisir sa proposition comme une demande mal placée, et heureusement pour le français. Celui-ci se laissait trop facilement corrompre par les vapeurs d'alcool, pour sûr. Tout le monde n'avait pas l'esprit aussi mal placé que lui, et ce n'était pas le cas du kinésithérapeute. Ce dernier apprécia l'idée émise par ce coquin de Momo, et réfléchit un instant, avant de lui soumettre quelques uns de ses goûts particuliers. Des suggestions qui ne manquèrent pas de plaire au cuisinier, qui chercha d’emblée dans sa mémoire des recettes correspondant à ces envies. Une chose est sûre, il allait apprécier se triturer les méninges pour son nouveau collègue.

« C'est marrant car j'adore travailler le poisson. » s'exclama Morgan en souriant. Une jolie coïncidence. « Ce qui est assez difficile à imposer à Paris, car les français sont très attachés à leurs recettes traditionnelles.  Pot au feu, boeuf bourguignon, boeuf carottes, boeuf par ci et par là, poule au pot, filet mignon en croûte, etc... Ca fait pas beaucoup de place pour le poisson tout ça ! » Ce qui l'avait beaucoup frustré à ces débuts. Les gens raffolaient de la nouveauté... sans sortir des sentiers battus. Et allez ré-inventer un des ces grands classiques, encore et encore ! Vous verrez qu'on en a vite fait le tour. « Mais je suis ravi de rencontrer quelqu'un qui a des goûts aussi proches des miens, et aussi complexes. Un peu de challenge, à peine arrivé ! J'adore ! » avoua sincèrement la jeune homme, un large sourire aux lèvres. De plus, cela touchait à sa passion, donc il n'aurait aucun mal à s'y mettre corps et âme, et ce même s'il ne recherche pas un massage en retour.

Un regard vers l'océan, et un énième rictus. Morgan ne s'attendait pas à déjà faire d'aussi bonnes rencontres à peine débarqué de son avion. Etait-ce l'euphorie de la nouvelle aventure qui lui permettait de s'ouvrir aussi facilement aux autres? Aucune idée. Mais le français ressentit le besoin de vite changer de sujet. S'ils continuaient tout deux sur la lancée de la cuisine, ils seraient encore au même endroit ce soir, à en débattre. Et il ne souhaitait pas ennuyer son collègue. On ne vit pas tous pour la cuisine, Momo. Il décida de détourner l'attention sur sa nouvelle rencontre, et de s’intéresser un peu un lui.

« Sinon... première croisière peut-être? Pour moi c'est le cas. J'crois ne même pas avoir souvenir d'avoir posé le pied sur un bateau aussi grand en plus. » Un rire lui echappa. Peut être avait-ce déjà été le cas, mais qu'il était trop bourré à ce moment là pour s'en souvenir.