BARBARA TALBOT – feat. Cate Blanchett

vagabonde ; elle n'a jamais vécu plus de trois ans au même endroit. Errante dans l'âme, appel d'un inconnu plus glorieux, phobie d'un ancrage trop précoce, qu'importe la définition; l'effroi de s'enterrer dans un quotidien banal la hante. La répétition des paysages, des chemins et des gestes quotidiens l'oppresse. C'est une nomade, Barbara. A-t-elle seulement jamais eu un point d'ancrage ? Enfance écartelée entre deux pays, deux parents, deux possibles, adolescence rejetée par les siens, âge adulte lancée à corps perdu dans l'inconnu. Elle fuit depuis toujours, Barbara, courant après un idéal inaccessible, trouvant dans ce mouvement perpétuel la réponse à un vide qu'elle ne parvient pas à combler. Elle voyage parce qu'à chaque fois qu'elle s'arrête et qu'elle s'attache, tout s'effondre sous ses pieds, et tout est à recommencer. Et que la seule fois où elle s'est enfin ancrée, l'enfer s'est ouvert en deux. out and proud ; Elle n'a jamais embrassé un homme, Barbara, car ce qui anime son coeur et son corps depuis qu'elle peut le comprendre, ce sont les femmes, dans toute la splendeur de leurs imperfections. Malédiction pour les uns, déviance pour les autres, la souffrance du rejet des premiers temps s'est muée en une fierté inébranlable. Pionnière d'un combat sans fin pour les droits des siens, il a fallu se reconstruire après le rejet, se trouver une famille nouvelle et choisie, se former une carapace à la haine humaine; puis se battre, pour qu'un jour peut-être, personne n'ait à vivre l'abandon immonde de parents empoisonnés par la bigoterie. fallen from grace ; elle n'a jamais revu sa famille, ses amis ou son milieu social. Exclue à l'instant où la porte s'est refermée, l'adolescente de bonne famille est tombée des grâces de la haute société. Née avec une cuillère en or dans la bouche, les fêtes de sa jeunesse se faisaient au champagne et en robes griffées. Puis vint le bannissement, et soudain tous ceux qui se clamaient être les siens ne l'étaient plus. Qu'importe; Londres, ses nuits déjantées et ses fêtards excessifs sont devenus sa patrie, et les cuites se faisaient à la bière tiède et la vodka bon marché. Des amis d'un soir et de toujours, triés sur le volet, qui devinrent compagnons de cuite et de business aventureux aux succès divers. De l'époque révolue du luxe et du sang bleu, elle garde une éducation ciselée et des manières vaguement sophistiquées, survivance lointaine d'un passé qu'elle est soulagée d'avoir elle-même oublié. queen of the night ; Elle n'a jamais dormi avant les petites heures du jour suivant. Sa vie se déroule en nuits aux néons et en bouteilles vidées, battues sur le tempo des modes musicales de tous temps et tous lieux. Princesse sauvage et rebelle des soirées de son adolescence, elle a fini par grimper elle-même sur le trône des clubs et des bars, prenant ainsi sa place naturelle de reine de la nuit. Elle aime l'excès que permet la fête, d'oublier le temps d'une soirée que le monde existe; puis elle a appris à devenir maestro de cette symphonie anarchique. Des premiers jobs instables de barmaid, elle a appris à naviguer les eaux nocturnes, apportant son art des fêtes grandioses dans les clubs et les bars qui voulaient d'elle, trouvant son bonheur d'un voyage à l'autre. Flirtant avec les lois d'ici et d'ailleurs, souvent; car le jeu implique de plier les règles, de tester les résistances, de jouer avec le feu en prenant garde à ne pas se brûler. Elle aime flirter avec la nuit, danser un tango avec cet autre monde, celui dont personne n’ose parler mais que tout le monde romance. Et parfois, elle s’est approchée trop près, et ce monde sombre l’a éraflée. Alors à nouveau, elle fuit, les casseroles et les sirènes tintant dans son sillage. Mais toujours, malgré les erreurs et les années, elle y revient, car c'est ce qu'elle fait de mieux. Elle travaille la nuit, vit la nuit, s'épanouit la nuit. unconventional ; elle n'a jamais aimé marcher dans les clous, Barbara. Elle semble ne trouver d'épanouissement que dans l'adversité, piétinant les conventions parce que, dans le fond, pourquoi pas ? Attitude blasée cachant les restes d'un malêtre de jeunesse, elle s'est promis devant le naufrage de la vie de ses parents de ne jamais se soumettre, de ne jamais plier, de ne jamais se fonde dans la masse. Elle a vécu sa vie comme elle l'entendait, à coup de pourquoi pas et de fight me. Se jetant à corps perdu dans l'inconnu et dans des aventures improbables, aux issues incertaines. Elle s'était juré de ne jamais se fixer, de ne jamais s'établir, de ne jamais s'arrêter. Qui l'eût cru. blind love ; elle n'a jamais aimée aussi fort et aussi éperdument qu'elle a aimé Santina. Apparition d'un autre monde croisée au détour d'une nuit new-yorkaise, elle lui a tourné la tête et le coeur. Entre les deux femmes, ce fut éclatant, immédiat, irrépressible. De ces amours sur lesquels se construisent les éternités et les tragédies. Elles étaient le jour et la nuit, opposés magnétisés l'un vers l'autre s'équilibrant dans une danse électrique. Santina, ô impériale Santina, à qui elle a tout sacrifié ; ses convictions les plus profondes ébranlées juste pour son sourire. Ce qui ne devait être qu'une aventure d'une nuit s'est transformé en la saga d'une vie. La famille de Santina est devenue celle qu’elle n’avait plus. New-yorkais établis dans la grande pomme depuis les Trente Glorieuses, ils avaient encore dans le sang et le caractère la fierté chaleureuse de ces clans du Sud. Ils en avaient l’art et le commerce, aussi, mais cela Barbara ne le découvrit que plus tard, quand elle s’était déjà embourbée dans des histoires plus grandes qu’elle. Santina avait les affaires dans le sang, et un talent sans nom pour faire de la loi sa meilleure ennemie. Oh, Dieu, qu’elle était douée. Alors elle a fermé les yeux, Barbara, et embrassé ce monde qui lui tendait les bras à travers Santina. foodie ; elle n'a plus jamais approché un fast food. Pas depuis qu'elle a rencontré Santina et découvert dans le pays où la cuisine est la meilleure ce que veut réellement dire manger. Contre toute attente, la famille de Santina l'a adoptée, et est devenue celle qu'elle n'avait plus. Déesse des fourneaux et grande gardienne des traditions familiales, la mère de Santina a appris à sa fille et sa belle-fille ce que cuisiner pour une famille impliquait. Elle leur a confié les secrets de la danse des couteaux, les choix des ingrédients et l'alchimie des épices. Et elle a découvert, Barbara, combien sa vie avait été culinairement désespérante jusque-là. Depuis une passion de la cuisine s'est éveillée en elle pour ne jamais s'éteindre. Et jusqu'à aujourd'hui, en dépit de tout le reste, elle continue à refaire les recettes qu'elles aimaient tant, avec Santina. no regrets ; elle s'est juré de ne jamais rien regretter, et ainsi vit-elle depuis toujours. Accepter ses erreurs, car qui n'est pas humain ? Qu'importe de tomber, il suffit de se relever. Elle n'a jamais regretté. Même à travers les larmes, la douleur et le désespoir, elle n'a jamais regretté. Jamais regretté d'avoir claqué la porte de la maison familiale. Jamais regretté ses plans commencés et jamais terminé. Jamais regretté ses amours sans lendemain. Jamais regretté son époque glorieuse aujourd'hui révolue. Jamais regretté d'avoir dit Oui. Jamais regretté les substances que son corps lui reprochera un jour. Jamais regretté sa liberté. Elle ne regrette rien, car elle se l'est promis. Et pourtant il y cette tristesse qui ne la quitte plus, mal cachée sous un humour acerbe et une attitude blasée. Mais cette mélancolie n'est pas née de regrets, mais de la tragédie qui l'a ébranlée et usée jusqu'à la corde. requiem for a dream ; elle ne guérira jamais complètement de cette perte. Des années d'un bonheur pur, et des années d'une longue descente aux enfers. Déliquescence de sa famille et de son couple. Et pourtant elle n'oubliera jamais son rire, ses joies et son infini amour. Leur petit paquet de bonheur. Alma, douce Alma. Une nièce que la grande faucheuse a privée de sa mère avant son premier anniversaire, et ainsi les deux femmes se retrouvèrent propulsées de marraines à mères. Premières années d'idylle, trio familial qui devient inséparable. Puis, soudain, le malheur s’éveilla. . Alors tomba la sentence; le monstre qui allait ronger, petit à petit, leur bonheur lentement construit, avait un nom. Céroïde-lipofuscinose neuronale. CLN2. Maladie de Jansky-Bielschowsky. L'enfant ne verrait pas l'âge adulte. Et tandis que Santina se jeta à corps perdu dans ce monde parallèle de la pègre qui l’engloutit lentement, courant après un miracle médical et illégal qui ne viendrait jamais à temps, Barbara arrêta sa vie toute entière. Tout ce qu'elle avait été fut enterré, et il n'y eut plus qu'Alma. Elle fut là à chaque instant : chaque anniversaire qui était une année de plus gagnée sur l'horloge, chaque nouvelle détérioration, chaque crise, chaque victoire, chaque souffle, jusqu'à l'ultime. Elle avait espéré une vie entière à voir grandir leur fille adoptive; le destin lui accorda neuf précieuses années. Elle y laissa une partie de son âme, elle y laissa son couple, elle y laissa des années de vie, mais qu'importe. Elle aurait donné sa vie pour Alma. pause. restart ; Elle n'a jamais aimé la lenteur. Sa vie, elle l'a toujours vécue à toute allure, trouvant sans doute dans cette fuite permanente un rythme qui l'empêchait de s'arrêter. Portée par une urgence incessante, elle n'avait pas le temps de s'effondrer. Mais depuis Alma, depuis Santina, sa vie semble être sur pause. Bloquée dans une entracte interminable, la scène plongée dans un noir angoissant. Comment retourner à la vie effrénée d'autrefois ? Pas à pas. Un premier, puis un second. Puis une course, de nouveau. Courir, courir, se laisser emporter par le tourbillon d'une nuit après l'autre. Barbara a retrouvé dans les bras accueillant de nuits folles qu'elle connaît si bien le réconfort qu'elle cherche tant. Des mois, des années, et aujourd’hui encore il faut se reconstruire. Elle a laissé derrière elle la pierre tombale sur laquelle elle tourne une fois par an. Elle a laissé derrière elle le souvenir douloureux de Santina en uniforme orange. Elle a laissé derrière elle les malheurs et les bonheurs d’une vie d’autrefois. Elle est revenue à elle-même, mais pas tout à fait. Elle veut du changement, elle veut aller vite, elle veut autre chose. Expérimenter tout ce qu’elle n’a pas encore pu. Car c’est le premier jour du reste de sa vie. Alors après avoir goûté et orchestré les nuits dans de grandes villes du monde, quel meilleur renouveau qu’un grand tour des mers du globe, à enflammer les nuits de ce palace flottant ?